Un petit écolier

Couverture de la Biographie de Michel, Un petit écolier, écrite par Souvenance éditions.

EXTRAIT

Béthune

Mes premiers souvenirs d’école remontent à la maternelle, en 1948 ou 1949. Je revois la cour, ainsi qu’une grande salle où les enfants jouaient. Je ne me souviens plus des institutrices, mais je me rappelle d’une dame, très gentille et souriante, qui faisait le ménage et assistait la maîtresse pour les petits soins dont ont besoin les jeunes enfants. A mes parents qui un jour m’interrogeaient sur cette femme, j’avais répondu : « c’est la dame qui nettoie les carreaux et les derrières ». Un beau zeugma tout droit sorti de ma bouche enfantine, qui avait bien fait rire mes parents !

En maternelle, j’étais amoureux. Ma dulcinée s’appelait Françoise, c’était la fille de la directrice de l’école, et nous nous donnions souvent la main. Un été, peut-être en 1950, mes parents, mon grand frère et moi avons été invités à rendre visite à la famille de Françoise sur leur lieu de vacances, à Sainte-Cécile-Plage. Cela paraît incroyable aujourd’hui, mais ces gens avaient loué un blockhaus pour y passer l’été ! Il y a énormément de blockhaus allemands sur la côte du Pas-de-Calais, et après la guerre ils se louaient comme cela, à des vacanciers. Qui aurait envie de passer ses vacances dans un blockhaus de nos jours ? Long d’une quinzaine de mètres, il était en forme de demi-lune et recouvert de tôle ondulée. Bien sûr il n’y avait pas de fenêtre ; la lumière pouvait seulement passer par la porte d’entrée quand elle était ouverte. Mais il y faisait bien frais !

A l’école primaire, nous, les petits garçons, jouions aux billes. A l’époque, les cours de récréation étaient en terre, sans goudron. Avec un bout de bois, nous tracions des circuits pour notre jeu préféré : le tour de France. Il fallait être sacrément habile pour diriger sa bille dans les virages, et pour qu’elle franchisse sans encombre les montées et les bosses. Gare aux sorties de route, sinon pénalité assurée ! J’étais toujours Koblet, un cycliste suisse qui avait gagné le tour de France en 1951, et que j’admirais beaucoup. Un autre jeu, en automne, était celui des castagnettes : il fallait couper une petite branche de l’un des marronniers de la cour, et en quelques coups adroits, casser avec sa branche celle de son adversaire. Le duel de castagnettes se terminait en général par une grande bataille de marrons, qu’il ne fallait pas choisir creux : trop inoffensifs !

Mon grand frère Jean et son copain Christian jouaient à la guerre. Le père de Christian venait de mourir à la guerre de Corée. Et le petit Christian imaginait être son papa qui se battait contre des ennemis. C’est bien triste, mais il faut se souvenir qu’à l’époque, la guerre faisait partie de l’histoire de tous les enfants. Nos pères, nos oncles avaient fait la seconde guerre, et nos grands-pères étaient souvent morts à la première.

Je travaillais bien, et je me souviens avoir été choisi par le maître pour réciter une fable de La Fontaine, « La Besace », dans un concours de récitation à Lens. J’ai gagné le premier prix ! Pour me récompenser, ma mère m’emmenait au cinéma. Il y en avait deux à Béthune, le Palace cinema et le Familia. Vers 10 ou 11 ans, j’ai été très impressionné par le film de Louis Malle, le monde du silence, sur les océans, avec le commandant Cousteau dans son fameux bathyscaphe…

Chaque veille des vacances, les élèves nettoyaient leur pupitre. Il fallait apporter un chiffon, de la cire, et frotter le bois pour effacer les taches, puis laver l’encrier. Mais ne croyez pas que nous étions toujours sages… monsieur Coquet était un professeur d’histoire au lycée de Béthune. Il avait une petite voix aigrelette et était très ennuyeux. Nous le chahutions énormément… quand il neigeait, le jeu des élèves était de s’exclamer tout fort, en patois :

« m’sieur, y neich ! »

Monsieur Coquet s’interrompait, et ne pouvait s’empêcher de regarder par la fenêtre. Et dès que le cours avait repris :
« m’sieur, y neich plus ! »
Et quand le pauvre monsieur Coquet se remettait à parler, sous les rires des garnements :
« m’sieur, y a r’neich ! »